Formation des agents de santé du Bénin : Manque à gagner pour l’économie nationale et risque pour les patients
(Etat des lieux, difficultés et essais de solutions par Dr Midjèou Béranger Avohouémè)
La formation aux métiers de la santé traverse une crise qui nécessite une réforme en profondeur en vue de sa dynamisation. Pendant que le gouvernement béninois investit massivement dans les infrastructures, il paraît important de mettre en œuvre une politique cohérente de renforcement du capital humain dans le secteur de la santé. En vue de décrypter les contrecoups des processus nationaux de formation des agents de santé, nous nous sommes rapprochés du Directeur Exécutif de l’institut ‘’Terre d’Afrique’’, spécialiste des sciences sociales, Chercheur indépendant et consultant sénior en développement organisationnel, institutionnel et en sauvegarde sociale Dr Midjèou Béranger Avohouémè. Entre volonté manifeste de réguler le secteur et conséquences économiques et sanitaires déplorables, notre invité interpelle le pouvoir exécutif et invite à agir pour parer au pire en réformant le système de formation pour une révélation des talents nationaux.
L’investisseur : Quelles sont les raisons avancées par l’Etat pour interdire la formation d’agents de santé par les établissements d’enseignements privés formels au Bénin ? Ces raisons sont-elles justifiées ?
Dr Midjèou Béranger Avohouémè : Quand vous prenez le décret du 10 mars 2016 qui vient abroger les dispositions antérieures régissant le fonctionnement des centres de formation des agents de santé dans notre pays, les motifs qui ont été énumérés par le gouvernement sont les suivants. Je cite ‘’Le secteur de la santé est un secteur très sensible parce qu’il s’agit de la vie des béninois et des béninoises et non béninois vivants au Bénin. Par conséquent, l’Etat doit préserver ce secteur contre la prolifération… ‘’. En substance, voilà la raison principale qui a été évoquée.
Pourtant les béninoises et béninois diplômé (e)s des écoles privées de santé de la sous-région ouest-africaine sont reconnu(e)s par l’Etat du Bénin. Quelles comparaisons pouvez-vous faire entre les formations dispensées dans la sous-région et au Bénin ?
Merci pour cette question. C’est un constat amer, que nous faisons tous, chaque jour dans le secteur. Les impacts négatifs du système de formation trop extraverti m’a amené à tirer la sonnette d’alarme. De bon droit, le gouvernement du Bénin suite au constat d’un certain nombre de dysfonctionnements avait décidé de parer au pire en prenant une mesure conservatoire pour interdire la formation d’agents par des centres privés au bénin. La finalité c’était donc d’assurer l’efficacité du secteur de la santé. Mais paradoxalement, les jeunes béninois veulent se faire former dans les métiers de la santé. La demande en formation dans les métiers de la santé ne cesse d’accroître. Et comme l’accueil est très limité dans les établissements d’enseignement nationaux, les parents sont contraints d’aller dans les pays de la sous-région, notamment le Burkina Faso, le Niger, le Mali, le Togo, le Sénégal, etc. Mais il se trouve que la qualité de la formation délivrée dans la plupart des centres privés que fréquentent nos compatriotes est douteuse. Une haute autorité du secteur de la santé avait fait remarquer que tous les agents de santé béninois qui se font former dans les pays de la sous-région ouest-africaine n’ont pas reçu une formation appropriée. Et que les compétences ne sont pas à la hauteur des diplômes. A l’en croire, il y a des différences de qualité entre certaines formations reçues dans la sous-région et celles dispensées au Bénin. Les agents formés au Bénin parviennent généralement à mieux se défendre sur le terrain que ceux formés dans certaines écoles privés ouest-africaines. Le clou dans cette situation c’est qu’il y a des centres privés de formation dans les métiers de santé qui n’ont pas reçus l’agrément auprès des institutions de leurs pays alors qu’ils forment et délivrent des diplômes aux étudiants béninois. Le ministre de la Santé a pris des dispositions par rapport au cas spécifique du Burkina-Faso où nous constatons ces dernières années une prolifération des centres privés informels de formations aux métiers de santé. Mais malheureusement, certains béninois continuent de faire confiance à ces centres et se font former à grand frais. Nous ne saurions incriminer les parents puisque l’Etat béninois devrait prendre les dispositions idoines pour protéger les compatriotes contre cette forme d’arnaque. L’augmentation des besoins de formation dans les métiers de santé est une bonne chose que les gouvernants doivent accompagner vu le contexte de déficit notoire d’agents de santé dans les formations sanitaires publiques. Selon les normes de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), il faut 25 travailleurs qualifiés pour 10.000 habitants. Toutefois le Bénin est loin de ce ratio. Dans ces conditions, la formation apparaît comme une opportunité que saisissent les centres privés africains au grand dam de la qualité des offres de formations. C’est quand les jeunes diplômés reviennent au Bénin que les investigations pour l’équivalence des diplômes, révèlent des supercheries et de graves manquements. En même temps, nous nous posons la question de savoir combien sont-ils qui réussissent quand même à passer entre les mailles du ministère de l’Enseignement supérieur, habilité à délivrer une équivalence de diplôme. Est-ce que de faux diplômes ou des parcours non conformes aux prescriptions académiques nationales ne sont-ils pas avalisés par le ministère en charge de l’équivalence ? En réalité, la santé est un secteur sensible et les erreurs sont souvent irréversibles. Quand nous prenons la place importance de la formation dans le système de santé, est-ce que nous mesurons de nos actes ?
En attendant de trouver des réponses concrètes à ces questions, nous pouvons pousser notre analyse un peu plus loin. En effet, aujourd’hui, il y a des agents de santé formés dans les pays de la sous-région qui n’ont pas pu authentifier leurs diplômes avant de commencer par exercer. Car, le besoin en agents de santé est tellement criard que les formations sanitaires en mal d’alternative sont obligés de faire avec la main-d’œuvre existante. Cette situation pose un problème de régulation des processus de formation. A mon avis, la formation est une question préjudicielle et d’enjeu de performance du secteur.
En réalité, est-ce que nous pouvons affirmer que les effets escomptés de mise en vigueur de la mesure d’interdiction de la formation d’agents de santé dans le privé sont effectivement atteints. C’est pourquoi, il apparaît nécessaire de faire une évaluation de la mise en œuvre de cette décision gouvernementale. Il serait difficile pour l’Etat de gérer sans l’aide du privé la question de la formation des agents de santé puisque les besoins sont immenses et cela requiert de gros investissements. Comme cela se fait dans les pays modernes, un partenariat public-privé est souhaitable. Car, les populations ont trouvé des voies de contournement de la décision. Malheureusement, les solutions qu’elles trouvent ne sont pas toujours recommandables.
Aujourd’hui, après une enquête, nous constatons que les agents de santé formés dans les centres privés de formation de la sous-région se retrouvent autant dans les centres de santé publics que privés du Bénin. Est-ce un aveu d’incapacité de la République du Bénin à former ses jeunes cadres de santé, tandis que des pays voisins qui ne sont ni si lotis en matière de ressources humaines ni en ressources technologiques ni en infrastructures que le Bénin deviennent des références en matière de formation en santé. Sans aucune autosatisfaction, les hospitalo-universitaires du Bénin sont dans références en Afrique. Mieux plusieurs pays limitrophes continuent d’envoyer des enseignants-universitaires en stage dans le domaine de la santé en République du Bénin. Tous les pays sont en compétition et le Bénin se doit de valoriser les expertises nationales au lieu d’adopter toujours une démarche tournée vers l’extérieur. Cela ne crédibilise pas les efforts qui se font par les experts à divers niveaux. Il semble, que la politique étrangère a encore fort à faire dans ce domaine en concertation avec tous les sectoriels concernés.
Nous sommes dans un secteur sensible et quand des pratiques sont de nature à jeter de discrédits sur la qualité des ressources humaines, cette situation doit interpeller la conscience de nous tous. Généralement, en Afrique, nous sommes coutumiers des approches de « sapeurs-pompiers ». Or gouverner c’est prévoir. Nous devons planifier pour les générations actuelles et futures. Cela requiert une démarche d’anticipation. Dès lors nous devrions réagir assez tôt pour trouver des solutions efficaces et durables à la formation des béninois dans les métiers sanitaires ; d’autant plus que la République joue avec des vies humaines. Et au-delà c’est également des enjeux économiques. Les béninois vont enrichir les écoles privées des autres pays.
De quoi ont besoin les instituts béninois pour former les agents de santé de standard international ?
Je vais vous donner un exemple simple. Il y a un centre privé de formation d’agent de santé au Niger. Plus du tiers de son personnel enseignant est de nationalité béninoise. Le premier intrant pour former des agents de santé compétitifs, c’est le personnel enseignant. Dans ce domaine, le Bénin n’est pas le dernier de la classe en Afrique. Les formateurs béninois sont reconnus partout dans le monde. L’histoire contemporaine enseigne que dans l’Afrique Occidentale Francophone (AOF), les enseignants, les médecins, les agents de développement rural qui officiaient dans la plupart des colonies étaient souvent de nationalité béninoise.
Donc, nos compatriotes ont des compétences qu’ils exportent dans divers domaines y compris la formation dans les métiers de santé. Il est paradoxal qu’ils ne puissent pas développer davantage cette transmission de savoir, savoir-faire et savoir-être au Bénin. Comme, on le dit généralement « nul n’est prophète chez soi », peut-être que les gouvernements successifs ont manqué des politiques incitatives. D’où la politique d’extraversion et d’autoflagellation dont sont coutumiers nos Etats d’Afrique Francophone, en particulier, la République du Bénin.
Afin de mieux encadrer le sous-secteur, il faut édicter des normes précises et impersonnelles. Ensuite, rendre fluide et dynamique un cadre de dialogue, d’échange et de partenariat public-privé. Les promoteurs de centres de formation doivent se soumettre à la règle au risque de se voir retirer les agréments. En outre, il y a nécessité de disposer de laboratoires et des centres hospitaliers et universitaires bien équipés afin de favoriser l’apprentissage et l’application des théories. Il y a également à veiller à ce que la logique du profit ne prime pas sur la qualité des formations au sein des centres privés. Il faudra agir pour réguler afin d’empêcher les concurrences déloyales entre centres de formation du secteur privé. Il y a assez de compétences au Bénin susceptibles d’accompagner ces réformes sanitaires afin que des formations de qualité soient dispensées dans les centres privés de formation aux métiers de la santé au Bénin. Pour finir, il faut mettre fin à la politique du numerus clausus dans les universités publiques et les instituts médico-sociaux de formation dans les métiers de la santé. L’inflation d’agents de santé qualifiés n’est pas une insuffisance plutôt une force. Le Bénin doit pouvoir se ressaisir et savoir que nous sommes dans un environnement concurrentiel. Chaque pays cherche à défendre sa souveraineté et son économie.
Qu’est-ce qui justifie le silence des acteurs du secteur de la santé face à cet état de choses ?
Plusieurs raisons. Mais le plus important, à mon avis, c’est que l’Etat a dit dans le décret de 2016 qu’il envisage construire des centres de formation des agents de la santé. Par conséquent, tout le monde attend que ces chantiers démarrent pour apporter des solutions au problème. Mais aujourd’hui, nous sommes face à une situation d’urgence. Non seulement, est-ce que le public peut faire face efficacement seul à cet immense chantier ?
La formation des étudiants béninois dans les pays de la sous-région constitue un manque à gagner pour l’économie béninoise. Comment peut-on comprendre qu’on préfère investir chez les autres pour une formation qu’on peut avoir de qualité et à moindre coût chez nous ?
Monsieur le journaliste, si vous pouvez remonter cette question au plus haut niveau, ce serait bien. Alors que tout le monde reste indifférent devant le cas de milliers de nos frères et sœurs qui vont se faire former à coût de millions chaque année dans les pays de la sous-région, le Bénin est en train d’alimenter l’économie du savoir des autres pays au détriment de l’économie nationale en quête pourtant de bol d’air. D’une part, nos enseignants transmettent leurs savoirs aux étudiants de la sous-région, participant ainsi à la qualification de ces pays au détriment du Bénin. D’autre part, les étudiants béninois en formation dans les pays de la sous-région participent à faire tourner leurs économies. Non seulement, ils payent les formations, mais aussi les logements, la nourriture, les habits, etc. Un étudiant béninois dans un pays de la sous-région dépense, au minimum, 120.000 FCFA par mois. Ainsi, 1000 étudiants dépenseront 120.000.000 FCFA par mois. Et, si on doit faire le point des béninoises et béninois en formation dans les métiers de la santé dans les pays africains, il doit y avoir des milliers. Donc, c’est des milliards de francs CFA des contribuables béninois qui sont injectés dans les économies des pays d’accueil des apprenants ressortissants du Bénin. Il ne faut pas oublier les tracasseries que les béninoises et béninois subissent avant de s’inscrire dans ces pays. Au Togo, une de mes connaissances a dû payer plus d’un million pour s’inscrire dans une formation de sage-femme.
Le mutisme des autorités béninoises cause ainsi d’importants manques à gagner pour l’économie du savoir et l’économie formelle dans notre pays. Nous investissons des sommes colossales dans des formations en deçà de celles dispensées dans notre pays. C’est difficile à comprendre. Encore plus à justifier. C’est un acte anti-développement. La situation dans laquelle se retrouve le secteur de la formation des agents de santé est à l’antipode du développement durable. Si besoin en est, le gouvernement peut commettre une étude sérieuse afin de mesurer les pertes pour le pays. Ces travaux permettront de prendre des décisions qui conviennent.
Avez-vous un appel à lancer ?
Je voudrais lancer un appel patriotique et demander à toutes les parties prenantes de la question relative à la formation des agents de santé au Bénin d’agir pour parer au pire. De manière silencieuse, les écoles privées de la sous-région et d’autres pays, loin de former sont en train de donner des illusions aux étudiants béninois. Le gouvernement doit pouvoir se saisir de cette question et arrêter la saignée. La santé est un secteur stratégique par excellence. Je pense que la formation est la clé de voute d’un secteur sanitaire en marche. Un agent mal formé est un danger public. Le gouvernement fait beaucoup en construisant des infrastructures de santé. Toutefois, le fonctionnement harmonieux des hôpitaux et des centres de santé dépend de la qualité des ressources humaines. C’est pourquoi, une approche holistique et systémique de la question de la santé permettrait de tirer le système de santé vers le haut pour le bien de nous tous, en particulier de l’économie du savoir, l’économie agricole, l’économie du tourisme et de la diplomatie béninoise pour ne citer que ces aspects saillants du Programme d’Action du Gouvernement (PAGII).
Je vous remercie.
Interview réalisée par Nafiou OGOUCHOLA